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A. Grothendieck
Was a spiritual and influential mathematician of the XXth century.
Born in Berlin (Prussia, Germany) on 28 March 1928, and died in Saint-Lizier (France)
on 13 November 2014. Son of Alexander “Sascha" Schapiro (also known
as Alexander Tanaroff) and Johanna “Hanka" Grothendieck, revolutionaries.
I'd say that he doesn't try to describe this world, he tries to describe the harmony of this world. P. Cartier
Il n’y a pas de "mot de la fin", pas de "conclusions" dans [les choses], pas plus qu’il n’y en a dans ma vie, ou dans la tienne. Il y a un vin, vieilli pendant une vie dans les fûts de mon être. Le dernier verre que tu boiras ne sera pas meilleur que le premier ou que le centième. Ils sont tous "le même", et ils sont tous différents. Récoltes et semailles
Je puis constater que la force principale manifeste à travers toute mon oeuvre de mathématicien a bien été la quête du “général”. Il est vrai que je préfère mettre l’accent sur “l‘unité”, plutôt que sur “la généralité”. Mais ce sont là pour moi deux aspects d’une seule et même quête. L’unité en représente l’aspect profond, et la généralité, l’aspect superficiel. Récoltes et semailles
Il y a un sens, ou des sens à des niveaux de profondeur différents, ils préexistent à mon travail et sont ce qu'ils sont, et mon travail consiste à les “découvrir", à les dégager patiemment, obstinément, avec un soin infini... La Clef des Songes
Ces grands thèmes de mon oeuvre ne sont nullement isolés les uns des autres. Ils font partie à mes
yeux d’une unité d’esprit et de propos, présente, telle une note de fond commune et
persistante, à travers toute mon oeuvre “écrite" et “non écrite". Cette unité n’est pas le
fait seulement de la marque du même ouvrier, sur les oeuvres qui sortent de ses mains. Ces
thèmes sont liés entre eux par d’innombrables liens, à la fois délicats et évidents, comme
sont reliés entre eux les différents thèmes, clairement reconnaissables chacun, qui se déployent
et s’enlacent dans un même et vaste contrepoint - dans une harmonie qui les assemble, les porte
en avant et donne à chacun un sens, un mouvement et une plénitude auxquels participent tous
les autres. Chacun des thèmes partiels semble, naître de cette harmonie plus vaste et en renaître
à nouveau au fil des instants, bien plus que celle-ci n’apparaît comme une “somme" ou comme
un “résultat", de thèmes constituants qui préexisteraient à elle. Et à dire vrai, je ne
peux me défendre de ce sentiment (sans doute saugrenu...) que d’une certaine façon c’est
bien cette harmonie, non encore apparue mais qui sûrement “existait" déjà bel et bien, quelque
part dans le giron obscur des choses encore à naître - que c’est bien elle qui a suscité tour
à tour ces thèmes qui n’allaient prendre tout leur sens que par elle, et que c’est elle
aussi qui déjà m’appelait à voix basse et pressante, en ces années de solitude ardente. Récoltes et semailles
Quand une situation, de la plus humble à la plus vaste, a été comprise dans ses aspects essentiels, la démonstration de ce qui est compris (et du reste) tombe comme un fruit mûr à point. Alors que la démonstration arrachée comme un fruit encore vert à l’arbre de la connaissance laisse un arrière-goût d’insatisfaction, une frustration de notre soif, nullement apaisée. Deux ou trois fois dans ma vie de mathématicien ai-je dû me résoudre, faute de mieux, à arracher le fruit plutôt que le cueillir. Je ne dis pas que j’aie mal fait, ou que je le regrette. Mais ce que j’ai su faire de meilleur et ce que j’ai le mieux aimé, je l’ai pris de gré et non de force. Si la mathématique m’a donnée joies à profusion et continue à me fasciner dans mon âge mûr, ce n’est pas par les démonstrations que j’aurais su lui arracher, mais par l’inépuisable mystère et l’harmonie parfaite que je sens en elle, toujours prête à se révéler à une main et un regard aimants. Récoltes et semailles
I’m not going to write out this proof, as “the” natural proof is going to come out by itself, once we got a good conceptual understanding. Pursuing stacks
Mon principal guide dans mon travail a été la recherche constante d’une cohérence parfaite, d’une harmonie complète que je devinais derrière la surface turbulente des choses, et que je m’efforçais de dégager patiemment, sans jamais m’en lasser. C’était un sens aîgu de la “beauté”, sûrement, qui était mon flair et ma seule boussole. Ma plus grande joie a été,moins de la contempler quand elle était apparue en pleine lumière, que de la voir se dégagerpeu à peu du manteau d’ombre et de brumes où il lui plaisait de se dérober sans cesse. Certes, je n’avais de cesse que quand j’étais parvenu à l’amener jusqu’à la plus claire lumière dujour. J’ai connu alors, parfois, la plénitude de la contemplation, quand tous les sons audiblesconcourent à une même et vaste harmonie. Mais plus souvent encore, ce qui était amené augrand jour devenait aussitôt motivation et moyen d’une nouvelle plongée dans les brumes, àla poursuite d’une nouvelle incarnation de Celle qui restait à jamais mystérieuse, inconnue— m’appelant sans cesse, pour La connaître encore... gate virtual calculator for ios
Réflexions Mathématiques
Studies and professional career 1950-1958 : Researcher at CNRS
1958 : Director of research CNRS
1958-1970 : Professor at the Institut des hautes études scientifiques (IHÉS)
1970-1973 : Invited Professor at the Collège de France, University of Orsay, Kingston and Buffalo
1973-1984 : Professor at the University of Montpellier
1984-1988 : "Position asterisquée" CNRS and University of Montpellier
Honors and awards 1966 : Médaille Fields (Congrès international des mathématiciens)
1977 : Médaille Émile Picard (Académie des Sciences)
1988 : Prix Crafoord (refusé)
COLLECTED WORKS
Vol I. Mathematical Reflections [pdf]
L’exemple de Galois, venu là sans que je l’appelle, touche en moi une corde sensible. Il me semble me rappeler qu’un sentiment de sympathie fraternelle à son égard s’est éveillé dès la première fois où j’ai entendu parler de lui et de son étrange destin, aux temps où j’étais encore lycéen ou étudiant, je crois. Comme lui, je sentais en moi une passion pour la mathématique — et comme lui je me sentais un marginal, un étranger dans le “beau monde” qui (me semblait-
il) l’avait rejeté. J’ai fini pourtant moi-même par faire partie de ce beau monde, pour le quitter un jour, sans regret... Cette affinité un peu oubliée m’est réapparue tout dernièrement et sous un jour tout nouveau, alors que j’écrivais l’“Esquisse d’un Programme” (à l’occasion de ma demande d’admission comme chercheur au Centre National de la Recherche Scientifique). Ce rapport est consacré principalement à une esquisse de mes principaux thèmes de réflexion depuis une dizaine d’années. De tous ces thèmes, celui qui me fascine le plus, et que je compte développer surtout dans les prochaines années, est le type même d’un rêve mathématique, qui rejoint d’ailleurs le “rêve des motifs”, dont il fournit une approche nouvelle. En écrivant cette Esquisse, je me suis souvenu de la réflexion mathématique la plus longue que j’aie poursuivie
d’une traite en ces dernières quatorze années. Elle s’est poursuivie de janvier à juin 1981, et je l’ai nommée “La longue Marche à travers la théorie de Galois”. De fil en aiguille, j’ai pris conscience que le rêve éveillé que je poursuivais sporadiquement depuis quelques années, qui avait fini par prendre le nom de “géométrie algébrique anabélienne”, n’était autre qu’une continuation, “un aboutissement ultime de la théorie de Galois, et dans l’esprit sans doute de Galois”.
Quand m’est apparu cette continuité, au moment d’écrire le passage dont est extraite la ligne citée, une joie m’a traversé, qui ne s’est pas dissipée. Elle a été une des récompenses d’un travail poursuivi dans une solitude complète. Son apparition a été aussi inattendue que l’accueil plus que frais reçu naguère auprès de deux ou trois collègues et anciens amis pourtant bien “dans le coup”, dont l’un d’ailleurs fut mon élève, auxquels j’avais eu l’occasion de parler, “à chaud” encore et dans la joie de mon cœur, de ces choses que j’étais en train de découvrir...
Cela me rappelle que reprendre aujourd’hui l’héritage de Galois, c’est sûrement aussi accepter le risque de la solitude qui a été sienne en son temps. Peut-être les temps changent-ils moins que nous ne le pensons, souvent ! Ce “risque” pourtant ne prend pas pour moi figure de menace. S’il m’arrive d’être peiné et frustré par l’affectation d’indifférence ou de dédain de ceux que j’ai aimés, jamais par contre depuis de longues années la solitude, mathématique ou autre, ne m’a-t-elle pesé. S’il est une amie fidèle que sans cesse j’aspire à retrouver quand je viens à la quitter, c’est elle !
Récoltes et Semailles
Pursuing stacks (À la poursuite des champs) First episode : The Modelizing Story (Histoire de Modèles) Feb. 1983 - Jan. 1984 arXiv, [pdf], [source]
La vraie générosité est de nature bienfaisante pour tous, à commencer
par celui en qui elle se manifeste et celui à qui elle s’adresse.
Récoltes et Semailles
Séminaire de Géométrie Algébrique SGA
SGA 1. Revêtements Étales et Groupe Fondamental
1960-1961 Un séminaire dirigé par A. Grothendieck Augmenté de deux exposés de Mme M. Raynaud
Springer Lecture Notes in Mathematics 224 (1971) arXiv Edited by B Edixhoven
SGA 2. Cohomologie Locale et Théorèmes de Lefschetz Locaux et
Globaux 1961-1962
A. Grothendieck (rédigé par un groupe d'auditeurs) Augmenté d'un exposé de Mme M. Raynaud
North-Holland Publ. Co, Amsterdam, 1968.
arXiv Edited by Y Lazslo
SGA 3 (SGA D). Schémas en groupes
1962–1964
Un séminaire dirigé par M. Demazure et A. Grothendieck Avec la collaboration de M. Artin, J. E. Bertin
P. Gabriel, M. Raynaud, J. P. Serre
Lecture Notes in Mathematics, n° 151, Springer (1970) [SGA 3 I] [SGA 3 II] [SGA 3 III] [Réédition par P Gille and P Polo]
SGA 4 (SGA A). Théorie des topos et cohomologie étale des schémas
1963–1964
Un séminaire dirigé par M. Artin, A. Grothendieck, J. L. Verdier Avec la collaboration de N. Bourbaki,
P. Deligne, B. Saint-Donat
Lecture Notes in Mathematics, n° 270, Springer (1972) [pdf] [Réédition par F Orgogozo]
SGA 5. Cohomologie l-adique et fonctions L
1965-1966
Un séminaire dirigé par A. Grothendieck Avec la collaboration de I. Bucur, C. Houzel, L. Illusie,
J. P Jouanolou et J. P Serre
Lecture Notes in Mathematics n° 589, Springer (1977) [scan], [pdf] [Errata à SGA 5 III], L Illusie
SGA 6. Théorie des Intersections et Théorème de Riemann-Roch
1966-1967
Un séminaire dirigé par P. Berthelot, A. Grothendieck et L. Illusie Avec la collaboration de D. Ferrand,
J. P. Jouanolou, O. Jussila, S. Kleiman, M. Raynaud et J. P Serre
Lecture Notes, n° 225, Springer-Verlag, Berlin, 1971 gate.io fiable, [pdf]
SGA 7. Groupes de monodromie en géométrie algébrique
1967-1969
Springer Lecture Notes in Mathematics 288
SGA 7 I Un séminaire dirigé par A. Grothendieck Avec la collaboration de M. Raynaud et D. S. Rim [scan], [pdf]
Le signe SGA est une abréviation pour “Séminaire de Géométrie Algébrique du Bois Marie”.“Il désigne (ou du moins, désignait dans les années soixante) les séminaires dans lesquels j’ai développé, entre 1960 et 1969 (et en collaboration avec des élèves et d’autres, a partir de 1962) mon programme de fondements de la géométrie algébrique nouvelle, parallèlement aux textes (moins “avancés”, et en style plus canonique) de la série EGA (“Éléments de Géométrie Algébrique”) (Rédigés avec la collaboration de J. Dieudonné.). Ces séminaires se déroulaient au “Bois Marie”, lieudit (à Bures sur Yvette) ou est implanté l’IHES depuis 1962. À vrai dire, les deux premiers séminaires (entre 1960 et 1962) se sont poursuivis dans un local de fortune à Paris (à l’Institut Thiers), devant un auditoire qui ne devait guère dépasser une dizaine de personnes, et devant lesquels je faisais rigoureusement “cavalier seul”. Le sigle SGA date de ces années, où il n’était pas encore question de “Bois Marie”. J’ai rajouté ultérieurement cette jolie appellation au nom initial “séminaire de Géométrie Algébrique”, pour le rendre mains austère.
Il va sans dire que la suite de ces séminaires, de SGA 1 à SGA 7, est numérotée par ordre chronologique. Il allait de soi que la conception d’ensemble de chacun de ces séminaires provenait de moi. Elle était inspirée par mon propos global et à longue échéance, de poser de vastes fondements de la géométrie algébrique, et de plus en plus, ceux en même temps d’une “géométrie” plus vaste, que je sentais fortement à partir tout ou moins des années 1963 et suivantes, et qui restait non nommée. (Je l’appellerais aujourd’hui du nom de “géométrie arithmétique”, synthèse de la géométrie algébrique, de la topologie et de l’arithmétique.) Le dernier de ces séminaires est SGA 7, qui s’est poursuivi (contrairement aux précédents) sur deux années consécutives, 1967–69, et qui était animé en collaboration avec Deligne.
Récoltes et Semailles
Maître-Thèmes
1. Produits tensoriels topologiques et espaces nucléaires.
2. Dualité “continue” et “discrète” (catégories dérivées, “six opérations”).
3. Yoga Riemann–Roch–Grothendieck (K-théorie, relation à la théorie des intersections).
4. Schémas.
5. Topos.
6. Cohomologie étale et ℓ-adique.
7. Motifs et groupe de Galois motivique (⊗-catégories de Grothendieck).
8. Cristaux et cohomologie cristalline, yoga “coefficients de De Rham”, “coefficients de Hodge”...
9. “Algèbre topologique” : ∞-champs, dérivateurs; formalisme cohomologique des topos, comme inspiration pour une nouvelle algèbre homotopique.
10. Topologie modérée.
11. Yoga de géométrie algébrique anabélienne, théorie de Galois–Teichmüller.
12. Point de vue “schématique” ou “arithmétique” pour les polyèdres réguliers et les configurations régulières en tous genres.
Je savais bien que je pourrais encore faire du bon travail en maths, peut-être même des grandes choses qui sait (j'en avais en train que je sentais juteuses !), à jet continu et jusqu'à la fin de mes jours, sans jamais épuiser l'Inépuisable. Mais je ne voyais pas le sens de continuer ainsi, à me dépasser sans cesse moi-même.
Ce n'est pas que j'étais fatigué du travail mathématique qui m'avait passionné il y avait quelques jours ou quelques semaines encore, et encore moins blasé. Je ne sentais pas moins qu'avant la beauté et le mystère, et l'attirance quasiment charnelle de la mathématique --- de celle qui avait été pour moi la plus accueillante des maîtresses, celle qui toujours quand je venais à elle m'avait comblé. Et je savais aussi la joie de celui qui édifie de ses mains, amoureusement, pierre après pierre, des belles et spacieuses demeures, qui ne ressemblent à aucune autre que main d'homme ait jamais construire, la joie de la création : faire surgir ce qui n'a jamais été avant, ce qu'aucun autre ne ferait à ma place juste de cette façon…
Je savais tout cela, et en même temps j’ai su alors que ce “nouveau’’ que je pouvais continuer à volonté à faire sortir de mes mains, avec l’approbation unanime de tous… — qu'il restait pourtant, dans une optique différente, enfermé désormais dans le cercle du “déjà connu”. Tout “nouveau” qu’il était, il ne m’apprenait pourtant pas quelque chose de véritablement nouveau ! Ou pour mieux dire, peut-être : il avait cessé de véritablement nourrir mon être. Ou, s’il le nourrissait encore de quelque façon, il y avait pourtant carence de quelque chose d’essentiel, sûrement, qui lui manquait.
C'étaient là des choses senties, que je n’ai pas essayé alors de me formuler en mots, m’en rendre compte à moi-même pour approfondir cette perception encore confuse de quelque réalité que j’entrevoyais alors pour la première fois : celle des limites d’une chose pourtant illimitée, comme la création mathématique ; celle de la répétitivité d’un travail qui était pourtant bel et bien et irrécusablement, à son propre niveau, un travail créateur. Il me semble à présent que j’étais confronté alors, pour la première fois de ma vie peut-être (du moins avec une telle acuité), à la différence de niveau entre deux réalités de nature distincte quoique intimement reliées : la réalité “intellectuelle” où se plaçait mon travail mathématique, et la réalité “spirituelle” qui échappe presque entièrement à ce travail. Au niveau intellectuel mon travail était créateur, et m’assurait un épanouissement, une plénitude. Mais vu du niveau spirituel, plus élevé, ce travail s'accomplissait dans un contexte et dans des dispositions qui en faisaient un travail répétitif, un travail de routine — un travail assuré d’avance de sa moisson de succès, d’admiration et de louanges — un travail privé de l’incessant aiguillon de l’incertitude et du risque, qui en fait une aventure de l’esprit et non une sinécure. Mais surtout, c’était un travail dont la place dans ma vie était devenue dévorante, tel un organe jadis sain qui s’hypertrophie en tumeur et draine la force et la sève de tout le corps, au point de la faire s’étioler et dépérir et, à la limite, d’entraîner sa mort. Je devais sentir que sur ce plan plus élevé et plus profond à la fois que je ne percevais encore que très obscurément, je dépérissais, et qu’il était grand temps d’y remédier.
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La Clef des Songes ou Dialogue avec le bon Dieu
1987 [pdf]
La Llave de los Sueños o Dialogo con el buen Dios gate io avis
Este texto ha sido traducido por Juan Antonio Navarro, revisado y editado por Mateo
Carmona.
Je savais bien que je pourrais encore faire du bon travail en maths, peut-être même des grandes choses qui sait (j'en avais en train que je sentais juteuses !), à jet continu et jusqu'à la fin de mes jours, sans jamais épuiser l'Inépuisable. Mais je ne voyais pas le sens de continuer ainsi, à me dépasser sans cesse moi-même.
Ce n'est pas que j'étais fatigué du travail mathématique qui m'avait passionné il y avait quelques jours ou quelques semaines encore, et encore moins blasé. Je ne sentais pas moins qu'avant la beauté et le mystère, et l'attirance quasiment charnelle de la mathématique --- de celle qui avait été pour moi la plus accueillante des maîtresses, celle qui toujours quand je venais à elle m'avait comblé. Et je savais aussi la joie de celui qui édifie de ses mains, amoureusement, pierre après pierre, des belles et spacieuses demeures, qui ne ressemblent à aucune autre que main d'homme ait jamais construire, la joie de la création : faire surgir ce qui n'a jamais été avant, ce qu'aucun autre ne ferait à ma place juste de cette façon…
Je savais tout cela, et en même temps j’ai su alors que ce “nouveau’’ que je pouvais continuer à volonté à faire sortir de mes mains, avec l’approbation unanime de tous… — qu'il restait pourtant, dans une optique différente, enfermé désormais dans le cercle du “déjà connu”. Tout “nouveau” qu’il était, il ne m’apprenait pourtant pas quelque chose de véritablement nouveau ! Ou pour mieux dire, peut-être : il avait cessé de véritablement nourrir mon être. Ou, s’il le nourrissait encore de quelque façon, il y avait pourtant carence de quelque chose d’essentiel, sûrement, qui lui manquait.
C'étaient là des choses senties, que je n’ai pas essayé alors de me formuler en mots, m’en rendre compte à moi-même pour approfondir cette perception encore confuse de quelque réalité que j’entrevoyais alors pour la première fois : celle des limites d’une chose pourtant illimitée, comme la création mathématique ; celle de la répétitivité d’un travail qui était pourtant bel et bien et irrécusablement, à son propre niveau, un travail créateur. Il me semble à présent que j’étais confronté alors, pour la première fois de ma vie peut-être (du moins avec une telle acuité), à la différence de niveau entre deux réalités de nature distincte quoique intimement reliées : la réalité “intellectuelle” où se plaçait mon travail mathématique, et la réalité “spirituelle” qui échappe presque entièrement à ce travail. Au niveau intellectuel mon travail était créateur, et m’assurait un épanouissement, une plénitude. Mais vu du niveau spirituel, plus élevé, ce travail s'accomplissait dans un contexte et dans des dispositions qui en faisaient un travail répétitif, un travail de routine — un travail assuré d’avance de sa moisson de succès, d’admiration et de louanges — un travail privé de l’incessant aiguillon de l’incertitude et du risque, qui en fait une aventure de l’esprit et non une sinécure. Mais surtout, c’était un travail dont la place dans ma vie était devenue dévorante, tel un organe jadis sain qui s’hypertrophie en tumeur et draine la force et la sève de tout le corps, au point de la faire s’étioler et dépérir et, à la limite, d’entraîner sa mort. Je devais sentir que sur ce plan plus élevé et plus profond à la fois que je ne percevais encore que très obscurément, je dépérissais, et qu’il était grand temps d’y remédier.
La Clef des Songes